Contes carnivores

Bernard Quiriny

Points

  • Une magnifique découverte

    Bernard Quiriny nous livre ici un recueil comprenant quatorze nouvelles ayant presque toute une pointe de fantastique. On y rencontre ainsi une femme-orange, un botaniste amoureux de ses plantes, un groupe amateur de marées noires, un évêque ayant deux corps... Quatorze nouvelles surprenantes et aux chutes toujours inattendues. Comme dans tout recueil, il y a des nouvelles plus réussies que d'autres, qui nous parlent ou nous touchent plus... Mais globalement j'ai adoré cette lecture.

    Pourtant, j'avais peur de me lancer. A tel point que ce livre traine au fond de ma pile à lire depuis 2010... Je ne sais pas pourquoi, mais je m'imaginais que ces nouvelles seraient gores, glauques, tout ce que je n'aime pas... Peut-être à cause du titre. Alors qu'il n'en est rien ! Il n'y a rien d'insupportable, pas de méchanceté ou d'horreur gratuite. Juste des idées originales, étonnantes et surtout bien exploitées et développées.

    Autre bon point de ce livre : on n'a pas l'impression de lire des nouvelles. Chaque récit est complet et se suffit à lui même. Quand on lit les dernières lignes, on n’a pas de frustration particulière et on a même réussi à s'attacher aux personnages - ce qui, de mon point de vue, manque généralement aux nouvelles. L'auteur a donc beaucoup de talent dans l'exercice de la nouvelle.

    En conclusion, une excellente et inattendue découverte ! Je me suis lancée dans cette lecture à reculons, mais dès les premières pages j'ai été happée par l'écriture de l'auteur, son inventivité et son humour. Je ne peux donc que conseiller ce recueil tant j'ai été charmée.


  • Conseillé par
    3 novembre 2010

    Recueil de contes de Bernard Quirigny. Lettre Q de mon Challenge ABC 2010.

    Sanguine : Deux hommes descendus dans le même hôtel se retrouvent un soir autour d'une histoire peu commune, où une femme se dissimule derrière une carapace peu commune. "Un peu de sang dans du jus d'oranges pressées, oui, chaque dimanche depuis 15 ans." (p. 21)

    L'épiscopat d'Argentine : Une femme de ménage dans le palais épiscopal d'Argentine s'étonne des allées et venues et des habitudes nocturnes de l'évêque. "Nous avons tous de petits fardeaux à supporter, et celui de l'évêque de San Julian était un corps en trop avec lequel il lui fallait composer." (p. 43)

    Qui habet aures... : Édouard Renouvier entend toutes les conversations où il est question de lui et s'emploie à corriger ses erreurs. Mais comment combler une lacune qu'on ne peut pas identifier?

    Quelques écrivains, tous morts : Florilège d'auteurs inconnus et morts. "J'ai découvert grâce à Pierre Gould un grand nombre d'écrivains méconnus, littérateurs de l'ombre ignorés par les faiseurs d'anthologie." (p. 57)

    Quiproquopolis (Comment parlent les Yapous) : "Le yapou n'est pas une langue de poètes, c'est une langue de boute-en-train. [...] Le quiproquo et le malentendu sont, avec la guerre tribale et l'anthropophagie, les quatre piliers de la société yapou." (p. 70)

    Marées noires : Les membres de la SCMN, Société des Connaisseurs de Marées Noires, se ruent sur les plages souillées par les catastrophes pétrolières. "Après avoir recouvert quelques kilomètres de côte, le pétrole s'oxyde au contact de l'air et se disperse dans la mer. Parfois, des écologistes et bien-pensants le récupèrent à la pelle et détruisent sans vergogne ces couches gluantes d'un noir parfait qui nous ravissent, nous autres gens de goût." (p. 85)

    Mélanges amoureux : Édouard Renouvier (encore lui) jongle entre une épouse et trois maîtresses. Dans la chambre d'hôtel qu'il loue à l'année, les miroirs dévoilent ses secrets. En réalité, les miroirs se souviennent toujours de ceux qui se sont reflétés en eux.

    Chroniques musicales d'Europe et d'ailleurs : Gaudi et son gaudiophone, Yoshi Murakami et son projet fou de faire vibrer la tour Eiffel, Eduardo Morrant et ses compositions impossibles à jouer, une mélodie audible sur une mince portion de terre en Colombie Britannique, un "traité de musicologie odoriférante" (p. 123), un pianiste qui a oublié comment jouer, tout cela donne à la musique un caractère improbable voire impossible.

    Souvenirs d'un tueur à gages : Qu'il s'agisse d'exécuter un homme d'affaires qui s'ennuie, d'abattre un homme à la place d'un autre, de détruire le diable, d'aider un peintre à effectuer son ultime autoportrait, de choisir entre les explosifs ou le poison, la vie d'un tueur à gages n'est pas banale.

    Le carnet : Un "écrivain en devenir" (p. 149) qui manque cruellement d'imagination rêve de dérober le carnet de notes d'un écrivain prolifique. Mais si ce carnet ne tenait pas toutes ses promesses?

    Extraordinaire Pierre Gould : La vie de Pierre Gould est loufoque, pleine de rêves et de projets. " Trois projets signés Pierre Gould: un annuaire permanent des donneurs de leçons rédigé en équipe et actualisé chaque mois, qui recenserait tous les pédants, cuistres et pontifiants sévissants dans les journaux et sur les ondes; un guide des écrivains surestimés, stigmatisant quelques littérateurs morts ou vivants, à la mesure de leur réputation; une anthologie des jurisprudences gondolantes qui rassembleraient les cas les plus curieux dont ont eu à connaître les juridictions judiciaires et administratives, au cours du dernier siècle." (p. 165-166)

    L'oiseau rare : Jacques Armand est un artiste réputé pour ses oeufs peints, oeufs d'oiseaux ou de poissons. Dans sa production, un oeuf reste mystérieux: on ne sait pas quelle espèce l'a pondu.

    Une beuverie pour toujours : Dans les pays de l'Est, il existe un breuvage, le zveck, réclamé à cor et à cris par les ivrognes. "Le zveck, c'est une beuverie pour toujours." (p. 197)

    Conte carnivore : "La puissance destructive du monde végétal a toujours été pour Latourelle l'objet d'un vif intérêt." (p. 207) Le botaniste est passionné par la Dionaea Muscipula, la plus dangereuse des plantes carnivores. "Leurs machoires sont comme des mécanismes d'acier, prêts à broyer tout ce qui passe à leur portée." (p. 214-215)

    Ce recueil est délicieux et se dévore à toute allure! La boulimie littéraire, ça existe! Les textes sont très bien écrits, fulgurants et grinçants. À lire Bernard Quirigny, on se dit que l'homme est son propre chasseur et sa propre proie.