L'ablation

Tahar Ben Jelloun

Gallimard

  • Conseillé par
    20 mars 2014

    Cancer : halte au tabou

    Dans L’ablation, Tahar Ben Jelloun annonce jouer l’écrivain public pour un ami mais c’est bien un homme conscient du problème qui parle.
    Le cancer de la prostate ( comme le cancer du sein pour la femme), arrivé à un certain terme, se traite par la soustraction de l’organe malade. Certains patients, inquiets des conséquences sur leur vie intime préfèrent " la vie même brève plutôt que l’ablation."
    Ce chercheur en mathématiques, après l’angoisse des différents examens, opte pour l’ablation de la prostate sur les conseils de son ami médecin. C’est avec beaucoup de naturel, sans aucun tabou que nous vivons ces moments difficiles (examens, opération, suites opératoires) pour tout être humain.
    Chaque étape est humiliante, dégradante même si les soignants sont d’un grand naturel. La dépression post opératoire est inévitable et même si le malade évite le mot "cancer" auprès de ses amis, l’isolement finit par avoir lieu.

    "Même quand elle ne s’affiche pas, la maladie isole, impose la solitude et le silence."
    Pour cet homme " qui a passé sa vie à courir les femmes", ( on retrouve notre Don Juan de L’amour conjugal) ne plus avoir de sexualité est sans aucun doute le plus difficile à assumer.
    " La sexualité et l’amour sont deux choses différentes, liées certes, mais pas nécessairement, du moins c’est ce que je croyais jusqu’à mon opération."
    Est-ce la raison pour laquelle les souvenirs de femmes sont si présents dans les deux derniers livres de l’auteur ?
    " Comment apprécier un Renoir si ta vie sexuelle est un désert." J’ose espérer que c’est encore possible.
    La cécité de l’écrivain Jorge Luis Borgès ou la surdité de Luis Buñuel ne sont-elles pas plus affligeantes?
    Tel Philip Roth qui accepte mal la vieillesse et la déchéance des corps dans Exit le fantôme, les écrivains n’hésitent pas à aborder ces thèmes qui nous concernent ou concerneront tous, sans aucun tabou.
    Et c’est une bonne chose car dans un monde où la publicité affiche des corps sains, jeunes (même pour les produits concernant les personnes âgées), la déchéance des corps, l’humiliation de la perte de fonctions élémentaires sont souvent inévitables.
    Le récit est une vision assez exhaustive des différentes étapes de la maladie, du dépistage aux conséquences. Je me serais bien passée des détails de la sexualité du malade mais il était sûrement important de montrer toute l’importance qu’il y portait.
    Heureusement, l’auteur a cet altruisme de penser aussi aux femmes atteintes du cancer du sein ou aux enfants malades croisés à l’Institut Curie.
    Un essai, qui, même si il n’apprend pas des choses essentielles, est un témoignage nécessaire pour exorciser ce tabou de la maladie et de la senescence.