Rencontre croisée avec Brigitte Stora et Robert Hirsch
Malgré la Shoah, le discours antisémite qui l'avait permis n'a pas changé : les Juifs, peuple coupable tout entier situé du côté de la domination, du privilège et de la spoliation, se seraient approprié l'avenir du monde. L'antisémitisme, d'où qu'il vienne, proclame l'urgence de déloger les Juifs d'une place imméritée, d'une « élection » usurpée...
Comment ne pas reconnaître l'imaginaire ancestral de ce discours délirant qui de nouveau se parle un peu partout, et, c'est le plus terrible, parfois même à l'insu de ses locuteurs.
Pourquoi un si petit groupe humain demeure-t-il l'obseision de centaines de millions d'individus ?
Que peut bien signifier cette « conspiration juive pour dominer le monde », ce terrifiant empire que les Juifs exercent sur les antisémites ?
L'antisémitisme est d'abord une très ancienne vision du monde qui postule l'abolition du judaïsme comme condition d'une rédemption universelle. Mais il est aussi une rage intime contre les Juifs qui, dès lors, occupent la place originelle de l'altérité fondamentale. Cet Autre, tout autre, qui nous oblige et nous grandit ou qui nous menace.
Le refus du nom de l'Autre, de toutes dettes à son égard, et la hantise du désir qu'il peut susciter, sont au coeur du discours antisémite. Ils apparaissent comme un modèle universel du refus de l'altérité en soi. Comme un meurtre de la responsabilité et de l'émancipation. Franz Fanon avait prévenu : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l'oreille, on parle de vous. »