Sociologie de la sexualité
EAN13
9782200355609
ISBN
978-2-200-35560-9
Éditeur
Armand Colin
Date de publication
Collection
DD.PSYSOC COLIN
Nombre de pages
126
Dimensions
1,8 x 1,3 cm
Poids
132 g
Langue
français
Code dewey
306.7
Fiches UNIMARC
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Sociologie de la sexualité

De

Armand Colin

Dd.Psysoc Colin

Indisponible
PREMIÈRE PARTIE

Transformations de la sexualité
et émergence de la subjectivité moderne

Longtemps la reproduction a paru inscrite dans l'ordre des choses, témoignant d'un ordre des sexes immuable. L'émergence d'un sujet et d'une subjectivité modernes s'est accompagnée de l'autonomisation d'un domaine de la sexualité, distinct de l'ordre traditionnel de la procréation. Le refoulement progressif des fonctions corporelles et des émotions au cours du processus de civilisation, l'augmentation de la réserve et de la distance entre les corps, l'apparition d'une sphère intime protégée s'appuyant sur des relations interpersonnelles fortes sont allés de pair avec une volonté de savoir et un désir d'interpréter les mouvements secrets du corps, dont témoigne l'apparition au XIXe siècle du terme même de sexualité et des premières disciplines qui la prennent pour objet, en rupture avec l'ancienne rhétorique religieuse de la chair. Les trajectoires et les expériences sexuelles, qui se diversifient fortement à l'époque contemporaine, deviennent un des fondements principaux de la construction des sujets et de l'individualisation.

1

L'ordre traditionnel
de la procréation

Longtemps sexualité et reproduction humaines ont fait à tel point partie intégrante de l'ordre social et de l'ordre du monde qu'elles n'étaient pas perçues comme un domaine à part, qui aurait obéi à des lois particulières. Les descriptions anthropologiques et les récits des historiens permettent de reconstituer les principes de l'ordre traditionnel de la procréation, qui se voulait inscrit dans la nature des choses et fixait sans contestation possible la place respective des sexes. Avec le christianisme émerge une inquiétude à l'égard de l'autonomie des désirs, et la censure des manifestations de la chair devient une des formes principales du contrôle social.

1. Sexualité et ordre du monde

L'ordre de la procréation fait partie des principes fondamentaux de toute organisation sociale. Chez les Baruyas de Nouvelle-Guinée, les mythes établissant les bases de l'ordre du monde décrivent un état social premier, désordonné et instable, dans lequel les femmes dominent et prennent l'initiative socialement et sexuellement. Le « bon ordre », celui dans lequel les hommes occupent la première place, n'est instauré que dans un deuxième temps, par rupture radicale et violente avec la situation initiale.

En Kabylie, le mythe sur l'origine de l'amour physique, rapporté par Pierre Bourdieu, décrit également le passage d'une activité sexuelle anomique à une sexualité maîtrisée, établissant sans équivoque la domination des hommes sur les femmes. Les actes sexuels originels ont lieu à la fontaine, lieu public féminin, et la femme, experte et active, apprend à l'homme comment faire, prend l'initiative et se place au-dessus de lui pendant l'amour. Dans la sexualité réglée, inversement, tout se passe à l'intérieur de la maison : c'est l'homme qui ordonne et qui couvre la femme. Le retournement de situation par lequel les hommes passent au-dessus des femmes permet de contenir et de domestiquer ces dernières. Que les hommes occupent une position supérieure lors de l'acte sexuel justifie le fait qu'ils « doivent gouverner ». Imaginer un monde où les femmes chevauchent les hommes serait aussi absurde qu'imaginer un monde social où les femmes gouvernent. Le bon ordre est celui qui met socialement et sexuellement les femmes à leur vraie place.

À l'époque médiévale et classique, cette hantise d'une sexualité qui ne respecterait pas l'ordre du monde s'exprimait dans les recommandations très précises que faisaient les théologiens aux confesseurs chargés de surveiller la vie morale des fidèles : les prêtres devaient s'enquérir auprès de leurs paroissiens des pratiques sexuelles qui tentaient de tromper la nature par la recherche de la stérilité, comme la sodomie ou le coït interrompu, mais aussi des actes non conformes aux rôles sociaux. Étaient ainsi proscrites les positions autres que la position dite naturelle, l'homme par-dessus la femme. Le théologien Sanchez écrit en 1607 : « Lorsque l'homme est dessous, il subit, par le fait même de cette position, et lorsque la femme est dessus, elle agit. Combien la nature a horreur de cette mutation, qui ne le voit ? » Le contrôle de la chair s'inscrit dans l'ordre des sexes, qui entre lui-même dans les desseins de Dieu et de la nature.

2. La valence différentielle des sexes

La plupart des cultures, même celles qui n'ont pas produit de mythes de justification sur la place des hommes et des femmes, ont traduit la différence des sexes en un langage binaire et hiérarchisé. D'après Françoise Héritier, c'est le corps, et dans le corps l'observation des différences liées à la reproduction, qui est la base de cette dichotomie. Ces classements dualistes, qui ordonnent les corps ainsi que toutes les choses du monde, produisent un système général d'oppositions, haut/bas, chaud/froid, sec/humide, clair/sombre, soleil/lune, droite/gauche, droit/courbe, aîné/cadet, majeur/mineur. Dans cette logique différentialiste, le féminin est toujours assigné au pôle inférieur. Les organes sexuels masculins et féminins, pour lesquels toutes les langues usent de métaphores expressives, sont perçus selon cette logique hiérarchisante.
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