Rivière de lune

Quel bilan peut-on faire de ses années passées lorsqu'on est espagnol et que l'on appartient à cette génération qui a quarante ans en 1975, à la mort de Franco ?Au seuil de l'adolescence, Fidel Euba s'était juré, un soir que son père l'avait battu jusqu'au sang, d'échapper à l'univers raréfié de la hiérarchie et de la famille où le plaisir et la tendresse étaient bannis au profit du respect de l'ordre de l'obéissance soumise. Pourtant, toutes les fois que Fidel connaîtra l'ivresse des jeux, la magnificence de la passion ou la plénitude du couple, il ourdira à son insu l'inévitable tragédie d'une société fondée sur la négociation de l'amour et le culte de la mort a infusée dans les venelles les plus secrètes de son être. A l'image du jeune garçon qui, au début du livre, pénètre dans une taverne dont les portes s'ouvrent sur d'autres tavernes, toutes semblables, toutes sans issue, Fidel Euba, dont le nom signifie en grec ancien la bonne âme, est entraîné malgré lui dans le labyrinthe mortel et sans fissure de la destruction.Publié en, Espagne au début des années 80, Rivière de lune fait aujourd'hui partie des dix livres essentiels qui ont marqué de façon décisive le renouvellement de la littérature espagnole. Tantôt somptueux, tantôt violent et inquiétant, ce beau roman d'une grande rigueur d'écriture porte sur le franquisme un regard qui rompt avec l'exaltation militante, l'aventure picaresque ou la peinture de mœurs pour mieux éclairer le drame intérieur et la destruction des « bonnes âmes ».